Mais qui se cache derrière les comédiens de doublage ?
Récemment, j’ai eu la chance de parler avec un grand chef d’orchestre dans ce domaine: Marc Saez
3ans après notre première Interview, il m’a dévoilé les coulisses de ce passionnant travail. Et sans langue de bois !
Marc, on a eu l’occasion de se parler pour ma toute première interview en 2019, comment
vas-tu… plus de 3 ans après ?
Je vais parfaitement bien et te remercie pour cette nouvelle entrevue.
Peux-tu me parler du poste de Directeur Artistique pour la partie doublage ?
C’est un poste important puisque un Directeur Artistique c’est celui qui doit caster les acteurs et actrices et qui va les diriger pour finaliser la version française. Donc si tu ne connais pas bien les comédiens et que tu les caste mal ça peut donner de très mauvais doublages et gâcher un travail original. A contrario, une bonne VF peut rattraper les choses, et même parfois les améliorer.
Tu as été le directeur artistique pour le doublage VF de la saison 1 de Squid Game pour Netflix. Comment cela s’est passé ?
Ça s’est passé parfaitement bien. J’ai la chance de pouvoir travailler en totale harmonie et confiance avec IMAGINE et Jean-Philippe Content et Florent Mars qui rentrent les projets. Une chargée de prod, Sylve Soulie me proposait plusieurs projets à choisir et quand j’ai vu Squid Game, j’ai tout de suite senti que c’était un Ovni qui allait cartonner.
Je le disais d’ailleurs aux comédiens qui venaient : « Ça, ça va être un Casa de Papel Coréen niveau succès ! ». Au départ je ne devais pas écrire l’intégralité de la série, mais un auteur nous a fait faux bond de manière peu élégante, Sylve a cherché en vain des auteurs qui étaient déjà tous bookés, on approchait des périodes d’été. La solution de secours a été que j’adapte l’intégralité des épisodes au final sauf le second que l’autre auteur avait commencé.
Ça a été un vrai challenge mais j’ai adoré faire ça.
De manière générale j’aime bien adapter un projet que je dirige comme ça je peux le suivre et le connaître parfaitement, comme un réalisateur qui suit les étapes de son film. Comme ça le poste de Directeur Artistique prend toute sa signification aussi.
Tu es le responsable du projet !
Pour Squid Game, comment as-tu choisi ton casting vocal ?
J’ai eu ce bonheur d’avoir la confiance d’IMAGINE et de Netflix. Ils ne m’ont demandé des essais que sur deux rôles : Gi-Hun « Constantin Pappas » et Sang-Woo « Mario Bastelica ».
Il y a eu 3 personnes par essai et j’avoue que si je n’avais pas eu d’essais, ce sont ces deux comédiens que j’aurais choisi.
Quand on a fait les essais sur ces deux rôles, les autres comédiens castés ont fait de très bonnes propositions, mais je savais que ce choix-là serait idéal et j’ai été hyper heureux que Netflix ait le même ressenti. Partant de là j’ai eu carte blanche et ça a donné la VF que vous avez découverte et que j’adore.
Comment expliques-tu le grand succès des séries Asiatiques comme Squid Game, Alice in Borderland, All of Us Are Dead,… en Europe ces dernières années ?
Il y a beaucoup de magnifiques créations un peu partout dans le monde mais on ne nous les offrait pas à découvrir un peu par protectionnisme. Quand tu regardes le festival de Cannes, ce sont toujours les mêmes qui y sont invités comme si tous les ans il n’y avait que les frères Dardenne par exemple qui faisaient les meilleurs films. C’est faux. Le cinéma Coréen est brillant et ça depuis des années, tout comme le cinéma espagnol, allemand, russe, tu regardes les séries comme Dark ou la Casa de Papel, The Rain, Brigada Costa Del Sol, c’est hyper bien foutu.
D’un côté les plateformes ont fait du mal au cinéma, mais ça a aussi réveillé un certain fonctionnariat de l’art. Il n’y a pas que les américains qui savent faire du grand spectacle et leur cinéma ne s’est pas tellement renouvelé non plus. Ils ne font plus que des films de super héros. C’est un peu lassant. Après il est vital de ne pas rester scotché uniquement devant les plateformes, sortir et partager avec les gens au théâtre ou en salle est essentiel, ne serait-ce que pour découvrir des œuvres sur grand écran et pour ne pas casser le contact social entre les gens. Quel bonheur de se retrouver après un film autour d’un verre ou d’un repas et d’en parler.
Côté Français, il commence à y avoir de belles choses du coup avec des séries comme « Les papillons noirs», « Paris Police 1900 », ça fait plaisir.
Pour un doublage, comment choisit-on les comédiennes ou les comédiens qui travailleront sur le film ?
Ça fait des années que je suis dans ce métier et que je m’intéresse aux artistes, donc les gens je les connais, je sais qui ils sont artistiquement et humainement. Je ne caste pas au physique ni à la voix. Je caste la personne dont l’intériorité et la souplesse de jeu collera le mieux avec l’acteur ou l’actrice à l’image. Pour cette raison je me bats contre ceux et celles qui castent à l’âge, au physique, à la couleur de peau ou à l’orientation sexuelle. Non mais on est où là ? Le doublage c’est bien le seul endroit dans ce métier où tu peux mettre un acteur noir sur un blanc s’il n’a pas de particularité de voix, une actrice plus âgée sur une plus jeune, une petite sur une grande, une rousse sur une blonde et j’en passe !. Pour la direction artistique, je vois débarquer des tas de DA nouveaux que je ne connais même pas alors que je suis là depuis des années. Je connais la génération d’avant la mienne, la mienne, et celle qui arrive, comment ces gens-là peuvent-ils caster au mieux s’ils ne connaissent pas les gens ?
Quand tu connais les gens, tu peux te servir de leurs défauts qui deviendront des qualités sur un personnage. De même dans une industrie qui te demande toujours de travailler de plus en plus vite, tu pourras optimiser ton plateau en allouant plus de temps à l’un qu’à l’autre parce que tu connais tes acteurs. Certains ont besoin d’un peu plus de temps que d’autres mais au final si tu prends un peu soin d’eux tu obtiendras un excellent résultat. Certains et certaines veulent ce poste pour des questions de Pouvoir. Diriger ! Oui, mais… Ça demande beaucoup de bienveillance et de connaissance ce poste là, ça demande d’absorber le stress sans le montrer à tes comédiens sur un plateau pour pouvoir les mettre en confiance et qu’ils donnent le meilleur. Donc en résumé, je caste à l’humain.
Souvent, un acteur n’a pas toujours le même doubleur, quelles en sont les raisons en général ?
Parfois la bêtise de certaines et certains en amont, toujours pour des questions de pouvoir. Des fois, tu colles hyper bien à un perso mais la personne ne te connaît pas et n’a pas envie de faire l’effort de te connaître et donc elle se rassure en prenant quelqu’un de son entourage. Résultat, tu retrouves toujours les mêmes acteurs sur tous les rôles. Après, c’est vrai que quand tu diriges si tu as la responsabilité d’un projet et que tu trouves que la personne ne correspond pas, à ce projet en tout cas, c’est normal d’avoir la liberté de pouvoir proposer ta vision de cette VF, c’est pour ça qu’on te nomme Directeur Artistique, et c’est pour ça qu’il y a parfois des essais. Après quand tu colles parfaitement sur quelqu’un que tu doubles depuis des années c’est sûr que c’est douloureux quand tu le perds. Mais il y a souvent derrière des demandes de clients, des distributeurs qui imposent des choses que le public ne sait pas et ne voit pas, et au final c’est le DA qui sert de fusible et qui prend tout en pleine poire. Certains choix créent des déferlantes de haine sur le net parfois venant des fans, mais ils ne savent pas ce qui se passe derrière et comme on est lié par des clauses de confidentialité on ne peut rien dire. Encore une fois, il est dommage de ne pas arriver à faire la part entre l’artistique et l’humain. Il m’est arrivé de travailler avec des personnes avec qui j’avais pas spécialement envie d’aller au restaurant après mais qui artistiquement correspondaient tellement au personnage que j’aurais trouvé ça dommage de m’en passer.
Je pense toujours au bien du projet. Le « Star Talentage » est stupide aussi, c’est uniquement un calcul commercial qui ne s’avère pas payant la plupart du temps.
Ça s’est vu avec les échecs de films comme Ratchet et Clank ou Simbad le marin par exemple.
En 2021, tu as participé au film « Oxygène » pour Netflix. Tu as eu un rôle important pour ce long-métrage, peux-tu m’en parler ? Et comment s’est passée ta collaboration avec l’actrice Mélanie Laurent, qui a fait un excellent travail durant tout le film !
C’était un projet particulier parce que Mélanie devait être en contact avec nous et qu’on allait rythmer le film en fonction de notre temps de réponses avec elle. Ils avaient fait des essais sur le plateau avec une personne qui donnait les répliques à Mélanie, mais ça n’aidait pas Alexandre A.
Alors on a travaillé en parallèle avec Alex qui tournait et montait et à qui on envoyait nos propositions d’enregistrement. C’était sympa comme travail. J’adore travailler avec AJA on se connaît depuis 1992, quand j’ai tourné dans le GRAND PARDON 2, film qu’avait réalisé son père à Miami.
On avait sympathisé à l’époque et on est toujours restés en contact. Alex est d’ailleurs venu me voir pour me proposer d’écrire et diriger les VF de ses films après le doublage d’un de ses longs dont il n’était pas du tout content. On a un projet de film série qu’on essaie de mettre en place depuis quelques années mais qui est dur à financer. Je vais d’ailleurs reprendre ce projet que j’avais initié et tenter de le proposer en série à des plateformes, on verra bien.
Quels sont tes projets en cours cette fin d’année ?
Pas mal de doublage en tant que comédien. Je viens de finir l’adaptation et la direction artistique d’un super dessin animé « Star Trek Prodigy », j’ai dirigé « Star Trek Strange New Worlds » nouvelle franchise Star Trek vraiment excellente, on double une nouvelle saison de « Jammie a des tentacules » où je double Nerdy et je m’éclate, vous me retrouverez aussi sur Scooter dans les « Muppets ». Je suis aussi très heureux de retrouver James Nesbitt dans la saison 2 de « Bloodlands ».
Sinon, je viens de finir l’écriture de mon long métrage dont certains comédiens et comédiennes m’ont déjà donné leur accord de principe. Je vais entrer dans la phase de recherche de la bonne production pour ce projet qui est important pour moi puisque ce sera mon premier long. Je viens de finir un recueil de poèmes qui s’appelle « Les petits poèmes » et qui sortira en fin d’année. J’ai aussi ce projet que j’avais démarré avec AJA qui existe en version Long métrage en anglais et en français et que je déstructure et réécrit en Série pour le proposer aux plateformes . J’en suis à trois épisodes écrits sur huit.
Je tenais à te féliciter pour le succès de ton court métrage : « Le rôle de ta vie » !
Il en est à combien de prix actuellement ?
C’est une belle histoire. « Le rôle de ta vie » a fait partie de la long list des Oscars en 2019 et a eu les honneurs d’une pleine page dans Variety. A ce jour, le film a remporté 175 récompenses à travers le monde dont 60 prix de la meilleure actrice pour Véronique Picciotto (ndlr : la compagne de Marc Saez). Le succès du film a attiré l’attention de plusieurs Festivals qui se sont du coup intéressés à mon premier court « SUIVEZ LA FLECHE » que j’avais peu inscrit en festival depuis sa création en 2011 et qui à l’époque avait remporté 9 awards à Los Angeles. Il en est aujourd’hui à 88 récompenses avec récemment les prix de meilleur film international à Barcelone à l’HIFF le love and hope film festival que je recommande vivement d’ailleurs et en Inde où mes deux films ont remporté pas moins de 7 nouvelles récompenses la semaine dernière. J’ai pu converser avec une salle pleine via Skype, c’était émouvant.
C’est un bonheur de faire voyager ses créations et de recevoir ce genre d’accueil chaleureux partout dans le monde. Le rôle de ta vie a par exemple reçu le prix du meilleur réalisateur et de la meilleure lumière en Iran au First women film festival. Au regard de l’actualité et avec un film qui traite du harcèlement et de la condition des femmes autant te dire que j’étais très honoré par celui-là.
Squid Game saison 2,… seras-tu à nouveau aux commandes de la Direction Artistique ?
Normalement oui. C’est pas encore dans les tuyaux !
Un petit mot pour Gillesfaitsoncinema.com ?
Merci à toi avant tout de ton intérêt pour les artistes et la création et message important à ceux qui nous liront : Sortez, vivez, allez au théâtre et au cinéma, coupez les infos de désinformation en boucle, ne vous laissez pas enfermer dans ce qu’on vous dicte, la culture est la clé de la liberté et du partage, ne l’oubliez jamais !